Réforme de l’apport-cession : vers une refonte profonde du dispositif de l’article 150-0 B ter du CGI
Deux amendements majeurs déposés le 17 octobre 2025 dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026 pourraient redéfinir en profondeur le régime fiscal de l’apport-cession, pierre angulaire de la planification patrimoniale et entrepreneuriale en France.
L’article 150-0 B ter du Code général des impôts permet aujourd’hui de placer en report d’imposition la plus-value réalisée lors de l’apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, à condition que cette société réinvestisse au moins 60 % du produit de la cession dans une activité économique dans un délai de trois ans. Ce mécanisme, essentiel pour fluidifier les transmissions d’entreprises tout en évitant une imposition immédiate, fait désormais l’objet d’une double révision parlementaire.
Le premier amendement (n° I-CF490, déposé par Mme Dupont) propose d’allonger considérablement le délai de réinvestissement, le faisant passer de trois à dix ans. Cette mesure offrirait une souplesse accrue aux dirigeants et investisseurs, leur permettant de déployer leur stratégie de réemploi sur le long terme, notamment dans des projets industriels, technologiques ou immobiliers à maturité différée. L’amendement supprime également le seuil fixe de 60 %, instaurant un report d’imposition proportionnel aux sommes effectivement réinvesties. Autrement dit, la fiscalité deviendrait ajustable selon la réalité économique des investissements réalisés, et non plus binaire.
Le second amendement (n° I-CF1379, déposé par MM. de Courson, Bataille et Castellani) opte pour une approche plus resserrée. Il fixe le délai de réinvestissement à cinq ans et relève le seuil obligatoire à 80 %, afin d’encadrer davantage l’utilisation des fonds issus de la cession. En cas de non-respect de ce seuil, l’imposition serait appliquée de manière proportionnelle, évitant ainsi une remise en cause totale du report. L’innovation majeure réside toutefois dans la suppression de la « purge au décès » : le décès du contribuable ne mettrait plus fin au report, celui-ci étant transmis à ses ayants droit. Cette disposition viendrait aligner le régime français sur certaines pratiques européennes où la continuité fiscale intergénérationnelle est déjà admise.
Ces propositions traduisent une volonté claire du législateur : concilier attractivité fiscale, équité et contrôle de l’usage du dispositif. Si l’amendement Dupont favorise la flexibilité et l’investissement progressif, la version portée par MM. de Courson, Bataille et Castellani tend à renforcer la rigueur du mécanisme tout en intégrant une dimension successorale inédite.
L’enjeu dépasse la seule technique fiscale car dans un contexte de déficit public en hausse et de recherche de nouvelles recettes, le gouvernement cherche à préserver les outils d’ingénierie patrimoniale sans en faire des vecteurs d’optimisation trop permissive. Le futur équilibre entre incitation économique et maîtrise budgétaire se jouera ici.
Quoi qu’il en soit, la réforme de l’article 150-0 B ter s’annonce déterminante pour les chefs d’entreprise, investisseurs et ingénieurs patrimoniaux. Elle redéfinira la manière dont les transmissions, restructurations et réinvestissements s’articuleront dans les années à venir, entre liberté d’action et responsabilité fiscale accrue.
Karim Trabelsi