Remploi 150-0 B ter : un levier fiscal très puissant mais sous haute vigilance
Le régime de report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du Code général des impôts permet au chef d’entreprise cédant de différer la taxation de la plus-value issue de la cession de ses titres, à condition de réinvestir le produit dans une société opérationnelle. Ce dispositif, issu de la loi de finances pour 2013, vise à encourager la reconstitution du tissu entrepreneurial à travers un mécanisme de remploi du capital. Sa technicité en fait cependant un outil à manier avec rigueur : les conditions cumulatives posées par la doctrine administrative (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60) déterminent sa validité, sa pérennité et sa sécurité juridique.
Le principe du report d’imposition
Le 150-0 B ter n’efface pas l’impôt : il en diffère simplement l’exigibilité. La plus-value réalisée lors de la cession est suspendue tant que le cédant conserve les titres souscrits dans le cadre du réinvestissement éligible. Le report prend fin lors de la cession, du remboursement ou de l’annulation de ces titres, ou encore lors de la rupture des conditions de détention prévues par le texte. La logique du dispositif est claire : le capital reste productif, et l’État encourage sa réallocation vers l’économie réelle.
Les conditions de fond
La doctrine distingue les conditions relatives à la cession des titres et celles attachées au remploi. Concernant la cession, les titres doivent être des titres de participation détenus depuis au moins 2 ans et représentant au minimum 10 % des droits de vote ou des bénéfices de la société. L’entreprise cédée doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Les sociétés patrimoniales, financières ou de gestion d’actifs en sont exclues. Concernant le remploi, le réinvestissement doit intervenir dans les 24 mois suivant la cession et porter sur au moins 60 % du produit de vente. L’investissement doit être réalisé en numéraire, sous forme de souscription au capital ou à l’augmentation de capital d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés et exerçant une activité opérationnelle. Le contribuable doit détenir au moins 5 % du capital de la société cible et conserver les titres pendant 12 mois au minimum.
Les sociétés éligibles
Le BOFiP précise que seules les sociétés exerçant une activité économique réelle sont éligibles. Les sociétés à prépondérance immobilière ou les structures de gestion patrimoniale sont exclues. En revanche, une holding animatrice peut entrer dans le champ du dispositif si elle démontre une activité effective d’animation et de direction de ses filiales. Cette preuve doit être continue et documentée.
La chronologie du remploi
Le délai de 24 mois court à compter de la date du transfert de propriété des titres cédés. Le non-respect de ce calendrier entraîne la perte du report, y compris sur la fraction non réemployée. Un réinvestissement échelonné reste possible, sous réserve que la totalité des fonds soit affectée dans le délai imparti. L’administration admet le recours à une société holding interposée, à condition que cette dernière soit constituée exclusivement pour le remploi, qu’elle procède elle-même à l’investissement dans le délai, et qu’elle ne détienne aucun autre actif non affecté à cette opération.
La fin du report
Le report prend fin en cas de cession ou de rachat des titres souscrits, de réduction de capital non motivée par des pertes, de remboursement des apports, de transfert de résidence fiscale hors de France, ou de non-respect des engagements de conservation. Dans ces hypothèses, la plus-value initialement reportée devient immédiatement imposable selon le régime applicable à la date de la cession d’origine, sans prise en compte des nouveaux titres acquis.
Une stratégie patrimoniale exigeante
Le 150-0 B ter est un outil d’ingénierie patrimoniale de haut niveau. Son efficacité repose sur la réalité économique du projet et sur la traçabilité des flux. L’administration veille à ce que le remploi ne soit pas détourné à des fins purement fiscales. Les montages circulaires, les structures inactives ou sans substance sont systématiquement requalifiés. Sa réussite dépend de la solidité du projet entrepreneurial, de la cohérence juridique du montage et du respect absolu de la doctrine administrative.
Un audit préalable complet de la plus-value, de la structure cédée et du projet cible demeure indispensable.
Le remploi prévu par l’article 150-0 B ter n’est pas un simple dispositif de défiscalisation. C’est une stratégie d’accompagnement de la mobilité du capital entrepreneurial. Bien structuré, il permet de financer la croissance, la diversification ou la transmission d’entreprise tout en préservant la neutralité fiscale. Mal maîtrisé, il expose à la perte du report et à une requalification lourde.
Sa clé de succès tient en un mot : substance (économique, juridique et stratégique…)
Karim Trabelsi