Entre cession directe et holding de reprise : quelle stratégie fiscale pour transmettre son entreprise ?

La transmission d’une société au sein d’un cadre familial ou entrepreneurial implique souvent des arbitrages complexes entre fiscalité, financement et organisation patrimoniale. L’un des montages les plus courants pour optimiser cette opération consiste à recourir à une holding de rachat, souvent désignée sous l’appellation de LBO familial. Cette structure permet de financer la reprise tout en différant la fiscalité et en favorisant la réorganisation du capital au profit de la nouvelle génération.

Imaginons un dirigeant souhaitant transmettre quatre cinquièmes de sa société à sa fille, par le biais d’une holding de reprise qu’elle constituerait.

L’enjeu est double : permettre la transmission progressive du capital et limiter la charge fiscale immédiate sur la cession.

La question se pose alors de savoir s’il est plus avantageux d’opter pour un rachat en direct ou de structurer l’opération via une holding. La comparaison entre ces deux scénarios doit intégrer la fiscalité des dividendes, la déductibilité des intérêts d’emprunt et la fiscalité de la plus-value réalisée par le cédant.

Lorsqu’une société distribue des dividendes à un associé personne physique, ces revenus sont soumis au prélèvement forfaitaire unique de 30 %, composé de 12,8 % d’impôt sur le revenu et de 17,2 % de prélèvements sociaux. En cas d’option pour le barème progressif, le contribuable peut bénéficier de l’abattement de 40 %, mais supportera un taux marginal d’imposition potentiellement supérieur.

En revanche, lorsqu’une holding soumise à l’impôt sur les sociétés perçoit des dividendes, elle bénéficie du régime mère-fille : 95 % des dividendes reçus sont exonérés, seule une quote-part de 5 % reste imposable au taux de l’IS, selon qu’il s’agisse du taux réduit de 15 % ou du taux normal de 25 %.

Cette différence crée un levier fiscal majeur, puisque la trésorerie ainsi préservée au niveau de la holding peut être utilisée pour rembourser la dette d’acquisition.

Dans un schéma où la société opérationnelle distribue par exemple 350 000 euros de dividendes, la holding ne supporterait qu’une imposition résiduelle d’environ 4 %, contre 30 % si les dividendes étaient perçus directement par un particulier. Cet écart justifie en grande partie la mise en place d’une structure interposée.

Le recours à une holding de rachat permet également de concentrer la trésorerie du groupe et de déduire fiscalement les intérêts d’emprunt contractés pour financer la reprise. Selon la jurisprudence constante, notamment l’arrêt du Conseil d’État de 1996 Société Capricorne d’Algérie, les intérêts sont déductibles si l’emprunt a été contracté dans l’intérêt de l’exploitation, c’est-à-dire en vue de percevoir des dividendes ou de valoriser la participation. Cette déduction vient réduire le résultat imposable de la holding, allégeant ainsi la charge fiscale globale du groupe. Ce mécanisme confère au montage un effet de levier financier et fiscal : les dividendes perçus servent à rembourser le prêt, tandis que les charges d’intérêts diminuent le bénéfice imposable de la holding.

Pour le cédant, la vente des titres de sa société entraîne la réalisation d’une plus-value mobilière soumise soit au prélèvement forfaitaire unique de 30 %, soit au barème progressif avec abattement pour durée de détention. L’abattement varie de 50 % à 85 % selon la durée de détention, plus de huit ans ouvrant droit au taux maximal.

Prenons un exemple chiffré :

La valeur de cession est de deux millions d’euros pour une valeur d’acquisition initiale de 7 500 euros, soit une plus-value totale de 1 992 500 euros. La quote-part cédée représente quatre cinquièmes, soit 1 594 000 euros. Après application de l’abattement de 85 %, la plus-value imposable serait de 239 100 euros. Au barème progressif, avec un taux marginal d’imposition de 30 %, la fiscalité totale, impôt et prélèvements sociaux compris, avoisine 345 000 euros.

En cas d’option pour le prélèvement forfaitaire unique, l’impôt global serait d’environ 478 000 euros. Si toutefois le cédant fait valoir ses droits à la retraite dans les deux ans suivant la cession, il bénéficie d’un abattement fixe supplémentaire de 500 000 euros, réduisant drastiquement la base imposable. La plus-value imposable serait alors ramenée à 100 000 euros, et la fiscalité totale à environ 324 000 euros, soit un gain net fiscal de plus de 150 000 euros.

Le choix entre cession directe et transmission via holding dépend principalement du profil fiscal du cédant et du projet patrimonial de l’acquéreur.

Dans une cession directe, la fiscalité du cédant est immédiate et définitive, et les dividendes futurs perçus par l’acquéreur sont lourdement taxés.

Dans une cession via holding, la plus-value peut être différée ou compensée par la structure du groupe. Les dividendes bénéficient du régime mère-fille et les intérêts d’emprunt sont déductibles, ce qui optimise la trésorerie disponible pour rembourser le financement de la reprise. En contrepartie, la holding doit être correctement structurée pour éviter toute requalification abusive. La jurisprudence fiscale rappelle que la société interposée doit exercer une activité économique réelle, de direction, d’animation ou de contrôle, et non servir uniquement à la gestion passive des titres.

La holding de rachat est un outil majeur de la transmission d’entreprise, alliant efficacité financière et optimisation fiscale. Elle permet au repreneur de financer la transmission tout en amortissant la dette grâce aux dividendes perçus, et au cédant de sécuriser la cession dans un cadre fiscalement favorable. Bien conçue, elle transforme une opération potentiellement coûteuse en un mécanisme vertueux de continuité économique et patrimoniale. Toutefois, sa réussite dépend de la rigueur juridique et fiscale du montage, de la cohérence économique du projet et de la maîtrise des règles d’abattement et de déduction propres à chaque acteur de l’opération.

Karim Trabelsi

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