La stratégie de l’apport-cession : différer, réinvestir, structurer

La technique de l’apport-cession permet d’éviter une cession directe des titres imposable immédiatement. Le chef d’entreprise apporte ses titres à une holding qu’il contrôle, laquelle revend ensuite les titres à un tiers. Le produit de la vente est encaissé par la holding, et la plus-value d’apport reste placée en report.

Cette opération poursuit trois objectifs : différer la fiscalité sur la plus-value sans exonération, réorganiser le patrimoine professionnel en transformant la participation directe en un outil d’investissement (la holding) et créer une société disposant de liquidités pour financer d’autres projets, acquisitions ou activités économiques.

Il s’agit d’un outil de planification et de financement, non d’un moyen de suppression d’impôt. Mais cette distinction est précisément celle que surveille l’administration fiscale.

L’obligation de réinvestissement et la lutte contre l’abus de droit

L’administration fiscale et la jurisprudence ont imposé une condition essentielle : une partie du prix de cession, au moins 60 %, doit être réinvestie dans une activité économique réelle. Ce réinvestissement doit intervenir dans un délai bref et concerner des opérations productives telles que la création, le développement d’entreprise ou l’acquisition de titres opérationnels.

À défaut, le montage est présumé poursuivre un but exclusivement fiscal. L’administration considère alors que l’apporteur a indirectement appréhendé les liquidités issues de la cession et prononce la fin du report d’imposition, assortie de l’imposition immédiate de la plus-value et de pénalités pour abus de droit prévues à l’article L.64 du LPF.

Exemple : une personne physique apporte les titres de sa société opérationnelle à une holding qu’elle contrôle. Quelques semaines plus tard, la holding revend ces titres pour deux millions d’euros. Si les fonds ne sont pas réinvestis dans une activité économique à hauteur d’au moins 60 %, l’administration peut considérer que la cession aurait pu être réalisée directement par l’apporteur et que le montage n’avait qu’un objectif fiscal.

Schéma général du mécanisme

Apport des titres : l’entrepreneur apporte à une société holding les titres de sa société opérationnelle. La plus-value d’apport, égale à la différence entre la valeur d’apport et la valeur d’acquisition, est calculée et placée en report d’imposition.

Cession par la holding : la holding revend les titres à un tiers, générant une plus-value de cession calculée au niveau de la société.

Réinvestissement : au moins 60 % du produit de cession doit être réinvesti dans une activité économique réelle pour maintenir le report.

Sortie du report : en cas de non-réinvestissement ou de distribution des liquidités à l’apporteur, le report prend fin et la plus-value initiale devient immédiatement imposable.

Illustrations chiffrées

Cas du sursis d’imposition (article 150-0 B)
Acquisition des titres : 1 000 000 €
Valeur d’apport : 1 500 000 €
Plus-value théorique : 500 000 € (en sursis)
Cession ultérieure : 2 000 000 €
L’imposition est calculée par rapport à la valeur d’acquisition initiale.
Plus-value imposable : 1 000 000 €

Cas du report d’imposition (article 150-0 B ter)
Acquisition des titres : 1 000 000 €
Valeur d’apport : 1 500 000 €
Plus-value d’apport : 500 000 € (mise en report)
Cession ultérieure par la holding : 1 800 000 €
Deux plus-values apparaissent : celle de l’apport (500 000 €) et celle de la cession (300 000 €). La première reste en report tant que les conditions sont respectées.

Un outil d’ingénierie patrimoniale exigeant

Bien utilisée, cette technique permet au chef d’entreprise de transformer une plus-value latente en capacité d’investissement sans fiscalité immédiate, tout en structurant son patrimoine autour d’une société holding. Mal exécutée, elle devient un montage artificiel exposé à une requalification pour abus de droit.

Les règles sont simples dans leur principe mais strictes dans leur application : contrôle effectif de la société bénéficiaire, réinvestissement économique réel et durable, absence d’appréhension personnelle des liquidités et respect des délais fixés par la jurisprudence.

Le report d’imposition de l’article 150-0 B ter illustre l’équilibre délicat entre optimisation fiscale légitime et abus de droit. C’est un différé d’imposition conditionné par un réinvestissement économique, non un outil de défiscalisation. Bien maîtrisé, il devient un levier puissant de transmission et de financement d’entreprise. Mal encadré, il peut coûter cher au contribuable, rappelant que toute optimisation doit reposer sur une véritable logique économique et non sur la seule recherche d’un avantage fiscal.

Karim Trabelsi

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