La liquidation de la succession et la réserve héréditaire
La liquidation d’une succession repose sur un principe fondamental du droit civil français : la protection de certains héritiers par le mécanisme de la réserve héréditaire. Cette institution, qui limite la liberté de disposer de ses biens, traduit la volonté du législateur de préserver les droits des descendants et, dans certains cas, du conjoint survivant.
L’article 913 du Code civil rappelle cette règle : « Les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant ; le tiers, s’il laisse deux enfants ; le quart, s’il en laisse trois ou un plus grand nombre. » La réserve héréditaire correspond donc à la part minimale des biens et droits successoraux revenant obligatoirement à certains héritiers réservataires, à condition qu’ils soient appelés à la succession et qu’ils l’acceptent.
Le calcul de cette réserve dépend directement du nombre d’enfants venant à la succession. En présence d’un enfant unique, la réserve représente la moitié de la masse successorale, laissant à la quotité disponible l’autre moitié. Avec deux enfants, chacun bénéficie d’un tiers de la succession, et la quotité disponible est réduite à un tiers. Lorsque le défunt laisse trois enfants ou plus, la réserve globale s’élève aux trois quarts, la quotité disponible se limitant alors à un quart. La situation est particulière lorsque le conjoint survivant est seul réservataire : la réserve représente alors toujours les trois quarts de la masse successorale.
Pour établir avec précision l’étendue de la réserve, la loi a prévu un mécanisme essentiel : la réunion fictive des libéralités. L’article 922 du Code civil en fixe les règles. Les biens donnés du vivant du défunt, quelle que soit leur date ou leur forme, doivent être fictivement réintégrés dans le patrimoine au moment du décès. Ils sont évalués selon leur état au jour de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession. Si le bien a été aliéné, on retient sa valeur à la date de l’aliénation. En cas de subrogation, on considère la valeur des biens acquis en remplacement. La jurisprudence est venue préciser ce mécanisme. La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 juin 2000 (n° 98-14.886), a jugé qu’en cas de donation d’un véhicule, il fallait tenir compte de la valeur d’un véhicule équivalent au jour du décès et non de sa simple valeur d’usage.
L’objectif de cette opération liquidative est clair : reconstituer fictivement le patrimoine du défunt comme s’il n’avait consenti aucune donation. La réunion fictive constitue donc une étape incontournable pour vérifier si la réserve héréditaire a été respectée. Elle permet de calculer la masse successorale de référence sur laquelle s’appliquent les droits des héritiers réservataires et du conjoint, et d’évaluer, le cas échéant, le montant des indemnités de réduction dues pour rétablir l’équilibre légal.
Un exemple illustre concrètement ce mécanisme ?
Monsieur Martin décède en laissant à sa succession son conjoint et deux enfants issus d’un premier mariage, Pierre et Paul. Sa succession comprend une résidence principale estimée à 200 000 €, des liquidités de 25 000 € et du mobilier évalué à 30 000 €, soit un total de 255 000 €. Après déduction d’un passif de 5 000 €, l’actif net ressort à 250 000 €. Cependant, des donations antérieures doivent être prises en compte : Pierre avait reçu de son père un bien dont la valeur au jour du décès, selon son état au moment de la donation, est de 100 000 €, tandis que Paul avait bénéficié d’une donation équivalente à 150 000 €. La réunion fictive s’élève donc à 250 000 €, qui s’ajoutent aux biens existants, reconstituant une masse successorale bien plus importante que celle apparente.
Ainsi, la réunion fictive joue un rôle déterminant dans la liquidation des successions. Elle augmente artificiellement la masse de calcul afin d’assurer le respect des droits des héritiers réservataires. Si cette masse est supérieure à l’actif effectivement existant, elle peut aboutir à des situations où les héritiers doivent réclamer des indemnités de réduction pour rétablir l’équilibre voulu par la loi. Ce mécanisme illustre à la fois la rigueur et la logique protectrice du droit des successions français : garantir une part minimale et intouchable à certains héritiers, tout en permettant au disposant de conserver une certaine liberté par le biais de la quotité disponible.
Karim Trabelsi