Le Pacte Dutreil : pilier fiscal et stratégique de la transmission d’entreprise

Le Pacte Dutreil, instauré par l’article 787 B du Code général des impôts, demeure le dispositif phare pour optimiser la transmission d’une entreprise familiale.
Il permet une exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit, que la transmission s’opère par donation ou succession, tout en garantissant la continuité de l’activité et la stabilité du capital. Le Pacte Dutreil repose sur une logique simple : encourager la transmission intergénérationnelle des entreprises sans compromettre leur équilibre financier. Ce mécanisme vise à éviter les ventes forcées d’actifs pour financer les droits de succession tout en assurant la continuité économique du tissu entrepreneurial.

Les conditions générales d’éligibilité

Pour bénéficier de l’exonération Dutreil, trois conditions cumulatives doivent être respectées :

  1. L’entreprise doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Les sociétés à vocation patrimoniale ou de gestion passive en sont exclues.

  2. Les titres transmis doivent être soumis à un engagement collectif de conservation, suivi d’un engagement individuel.

  3. L’un des signataires ou bénéficiaires doit exercer une fonction de direction effective pendant une durée minimale de trois ans après la transmission.

Le dispositif s’applique aussi bien aux sociétés qu’aux entreprises individuelles.

Les engagements de conservation : collectif, réputé acquis et individuel

L’engagement collectif de conservation

Les associés signataires représentant au moins 34 % des droits financiers et de vote (ou 20 % pour une société cotée) doivent s’engager à conserver leurs titres pendant au moins deux ans. Cet engagement peut être conclu avant la transmission ou repris par les héritiers ou donataires après celle-ci.

L’engagement réputé acquis

La mise à jour de 2024 élargit ce régime : l’engagement collectif est réputé acquis lorsque la société est déjà détenue depuis au moins deux ans par un groupe familial remplissant les seuils requis (34 % ou 20 %) et exerçant un contrôle stable. Cette évolution permet de simplifier la transmission des entreprises déjà familiales, en évitant de signer un engagement collectif préalable.

L’engagement individuel de conservation

Chaque bénéficiaire doit conserver les titres transmis pendant quatre ans à compter de la fin de l’engagement collectif ou réputé acquis. Toute cession avant ce terme entraîne la perte de l’exonération, sauf si elle intervient entre signataires du pacte ou au profit d’un descendant poursuivant l’engagement.

L’engagement post mortem

En cas de décès du chef d’entreprise avant la signature d’un pacte, les héritiers disposent désormais de six mois pour formaliser un engagement collectif. Cette tolérance, officialisée par la doctrine administrative, préserve le bénéfice fiscal en cas de décès prématuré.

La fonction de direction : clarification majeure

L’un des signataires ou bénéficiaires doit exercer une fonction de direction effective pendant au moins trois ans après la transmission. La doctrine de 2024 apporte des précisions importantes :

  • La fonction peut être exercée par tout membre du groupe familial signataire, même s’il n’est pas donataire direct.

  • En cas de décès ou de démission, le remplacement du dirigeant n’entraîne plus automatiquement la perte de l’exonération, à condition qu’un successeur soit désigné rapidement.

  • L’exercice de la direction au sein d’une holding animatrice est reconnu comme valable si l’animation du groupe est démontrée par des actes positifs : coordination stratégique, prestations facturées, décisions de gestion et participation aux organes de direction.

Cette approche pragmatique répond à la réalité des groupes familiaux complexes.

Les holdings et les sociétés interposées

Le BOFiP distingue trois situations principales :

Les holdings animatrices
Elles sont éligibles si leur rôle d’animation est actif, réel et continu.
La mise à jour de 2024 admet désormais que l’absence temporaire d’animation, notamment lors d’une restructuration, ne remet pas en cause l’exonération si la vocation animatrice reste avérée.

Les holdings passives
Elles ne bénéficient de l’exonération qu’à hauteur de la valeur des filiales exerçant une activité opérationnelle.
La limite des deux niveaux d’interposition reste applicable, sauf en cas de contrainte économique ou réglementaire documentée.

Les sociétés interposées
L’exonération s’applique proportionnellement à la valeur de la participation indirecte détenue via deux niveaux maximum de sociétés.

Les restructurations et transmissions partielles

La réforme de 2024 introduit une souplesse nouvelle : les opérations de fusion, scission ou apport ne remettent plus en cause le pacte dès lors que les titres reçus en échange sont soumis à un engagement équivalent. De même, une donation partielle des titres est désormais admise, à condition que les seuils de 34 % (ou 20 %) soient maintenus. L’administration privilégie désormais la continuité économique plutôt que la stricte formalité juridique.

Application aux entreprises individuelles

Le Pacte Dutreil s’applique également aux entreprises individuelles exerçant une activité éligible.
Le chef d’entreprise doit avoir exercé pendant au moins deux ans, et le bénéficiaire doit conserver les biens transmis pendant quatre ans, et poursuivre l’exploitation pendant trois ans. L’exonération de 75 % s’applique sur la valeur réelle de l’entreprise au jour de la transmission.

Calcul de l’exonération et exemple

L’abattement de 75 % s’applique sur la valeur réelle des titres transmis.
Les abattements personnels prévus par le CGI (100 000 € entre parent et enfant, par exemple) s’ajoutent, puis les droits sont calculés sur le solde.


Une société familiale valorisée à 3 000 000 € est transmise à deux enfants.
Chacun reçoit 1 500 000 € de titres.
Sous Pacte Dutreil, seule 25 % de cette valeur, soit 375 000 €, est taxable.
Après abattement de 100 000 €, la base imposable tombe à 275 000 €, générant une économie d’environ 330 000 € par héritier.

Obligations déclaratives et régularisation tolérée

Les signataires doivent déposer, avec la déclaration de succession ou de donation :

  • l’attestation d’engagement collectif ou réputé acquis,

  • l’attestation individuelle de conservation,

  • la justification de la direction effective.

La doctrine admet désormais que certaines omissions déclaratives peuvent être régularisées sans perte du bénéfice fiscal si la bonne foi du contribuable est démontrée.
Cette tolérance met donc fin à la rigidité administrative antérieure.

Sanctions et exceptions

Le non-respect des engagements entraîne la reprise intégrale de l’exonération, avec intérêts et pénalités. Cependant, plusieurs exceptions ont été confirmées :

  • donation à un descendant poursuivant l’engagement individuel,

  • cession entre signataires du pacte,

  • changement de forme juridique sans modification d’activité,

  • remplacement du dirigeant en cas de décès ou incapacité.

Ces ajustements traduisent une approche pragmatique, fondée sur la réalité économique plutôt que sur le formalisme.

Articulation avec d’autres outils patrimoniaux

Le Pacte Dutreil s’articule avec d’autres leviers de stratégie patrimoniale :

  • donation-partage pour équilibrer les transmissions ;

  • démembrement de propriété pour maintenir le contrôle ;

  • holding animatrice pour centraliser la gestion et préparer la succession ;

  • paiement différé ou fractionné des droits (article 397 A de l’annexe III du CGI) pour préserver la trésorerie familiale.

Ces combinaisons permettent de transformer un avantage fiscal en véritable projet de transmission organisé et durable.

Enjeu patrimonial global

Le Pacte Dutreil dépasse le simple cadre de la fiscalité. Il s’inscrit dans une démarche de gouvernance familiale et de continuité économique. Bien structuré, il protège l’entreprise, assure la stabilité du capital et transmet la valeur d’un savoir-faire à long terme. Loin d’être un outil administratif, il représente un engagement intergénérationnel au service de la pérennité entrepreneuriale.

Ce régime reste un pilier de la transmission patrimoniale française, à condition d’être préparé avec rigueur et accompagné par des experts.
Bien utilisé, il permet de transmettre une entreprise sans en briser l’équilibre et de faire du patrimoine professionnel un levier de continuité familiale.

Karim Trabelsi

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