Les demandes d’éclaircissements et de justifications du fisc : tout ce qu’il faut savoir

L’administration fiscale dispose de plusieurs moyens pour vérifier la sincérité des déclarations des contribuables. Parmi eux, la demande d’éclaircissements et la demande de justifications figurent parmi les plus courantes. Ces prérogatives, fondées sur les articles L10 et L16 du Livre des procédures fiscales, permettent à l’administration de solliciter des informations complémentaires sans pour autant déclencher une procédure de vérification formelle. Leur usage, strictement encadré par la loi et la jurisprudence, révèle l’équilibre recherché entre les pouvoirs d’enquête de l’administration et les garanties du contribuable.

L’article L10 du Livre des procédures fiscales énonce que l’administration des impôts contrôle les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l’établissement des impôts, droits, taxes et redevances. Elle contrôle également les documents déposés pour obtenir des déductions, restitutions ou remboursements, ou pour acquitter une imposition au moyen d’une créance sur l’État. À cette fin, elle peut demander aux contribuables tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations souscrites ou aux actes déposés. Ces demandes ne sont pas contraignantes : le contribuable n’est pas tenu d’y répondre et aucune sanction ne peut être appliquée en cas de silence.

Cependant, le Conseil d’État, dans sa décision du 26 mai 2010 (affaire Beckman, RDF 37/2010, BDCF 8-9/2020, n°83), a précisé que l’administration demeure soumise à un devoir de loyauté. Elle ne peut tromper le contribuable sur la portée réelle de sa demande, notamment lorsqu’elle interroge un dirigeant sur sa situation personnelle dans le cadre d’une vérification de comptabilité portant sur sa société.

Le domaine d’application des demandes

L’article L16 du Livre des procédures fiscales distingue deux types de demandes : les demandes d’éclaircissements et les demandes de justifications. Ces deux procédures, bien que similaires, poursuivent des objectifs différents. Leur champ d’application a été précisé par la jurisprudence, notamment par le Conseil d’État dans l’arrêt Niollon du 16 mai 1997 (RJF 1997 n°647). Si le contribuable ne répond pas aux demandes qui lui sont adressées, il s’expose à une taxation d’office en vertu des articles L16 et L69 du Livre des procédures fiscales.

La demande d’éclaircissements concerne uniquement les mentions portées sur les déclarations de revenus souscrites par le contribuable. Elle ne peut donc être utilisée si aucune déclaration n’a été déposée pour l’année en cause, car l’administration peut alors directement recourir à la taxation d’office pour défaut de déclaration. Cette demande vise à obtenir des précisions sur des discordances apparentes, par exemple entre différents éléments de la déclaration, entre plusieurs années d’imposition ou entre la déclaration du contribuable et celles des tiers. L’administration peut ainsi interroger un contribuable lorsque les traitements et salaires déclarés ne correspondent pas aux montants communiqués par l’employeur.

La demande de justifications, également prévue par l’article L16, possède un champ d’application plus large. Elle peut être utilisée pour vérifier la cohérence des déclarations ou en cas d’enrichissement inexpliqué du contribuable. La jurisprudence admet qu’elle puisse être mise en œuvre même si la déclaration a été déposée avec retard, comme l’a jugé la Cour administrative d’appel de Marseille dans son arrêt du 18 novembre 2010 (n°07MA03089, affaire Gandolfi Scheit).

Les demandes de justifications ciblées

L’administration peut demander des justifications sur des points précis figurant dans la déclaration. Cela peut concerner la situation et les charges de famille, telles que la production d’un certificat de scolarité ou d’une carte d’ancien combattant. Elle peut aussi exiger la preuve de certaines charges ouvrant droit à réduction d’impôt, comme le versement d’une pension alimentaire, ou encore des informations sur les avoirs détenus à l’étranger. Elle peut également contrôler les éléments servant à déterminer les revenus fonciers, comme la justification des travaux déduits ou des intérêts d’emprunt, ou encore la détermination des plus-values sur valeurs mobilières et plus-values immobilières. Dans ce dernier cas, l’administration peut réclamer les justificatifs relatifs aux frais d’acquisition ou à la date d’achat du bien.

Les justifications en cas d’enrichissement inexpliqué

L’article L16 autorise également l’administration à demander des justifications lorsqu’elle a acquis la conviction que le contribuable dispose de revenus réels supérieurs à ceux déclarés. Cette procédure ne peut être utilisée que si des éléments sérieux laissent supposer l’existence de revenus dissimulés. À défaut, la taxation d’office prononcée à la suite d’une absence ou d’une insuffisance de réponse serait irrégulière.

Pour établir cette présomption, l’administration peut recourir à plusieurs méthodes.

La première consiste à comparer les emplois de fonds réalisés par le contribuable avec ses revenus déclarés. Si un contribuable effectue des investissements manifestement disproportionnés par rapport à ses revenus officiels, il peut être invité à en justifier le financement. Il lui appartient alors de démontrer l’origine non imposable des sommes concernées, par exemple un don ou un prêt. La seule détention d’un bien patrimonial ne suffit toutefois pas à justifier une taxation : il faut que l’administration établisse que ce bien a été acquis au cours de la période vérifiée.

La deuxième méthode, dite de la balance de trésorerie ou de l’enrichissement, consiste à comparer l’ensemble des dépenses et des ressources, imposables ou non, sur une période donnée. Si les dépenses excèdent les ressources connues, l’administration peut exiger des explications sur l’origine de la différence, présumée provenir de revenus occultes. Si le contribuable justifie que les ressources proviennent d’éléments non imposables, comme un don manuel, la procédure prend fin. À défaut, les revenus inexpliqués sont taxés d’office. Le juge veille toutefois à ce que les dépenses de la vie courante, souvent payées en espèces, ne soient pas surévaluées pour créer artificiellement un solde défavorable.

La troisième méthode repose sur la comparaison des crédits bancaires avec les revenus déclarés. L’administration examine les montants crédités sur les comptes du contribuable et les confronte à ses revenus bruts. Si le total des sommes créditées représente au moins le double des revenus déclarés, ou les excède de plus de 150 000 euros, elle est fondée à formuler une demande de justifications. Cette règle, introduite pour mettre fin à l’incertitude jurisprudentielle antérieure, fixe un seuil objectif. Par exemple, un contribuable déclarant 50 000 euros de revenus et présentant des crédits bancaires de 100 001 euros entre dans le champ de la procédure.

Cette méthode suppose toutefois que l’administration ne connaisse pas encore la nature exacte des revenus présumés dissimulés. Si elle en connaît déjà la qualification fiscale, elle ne peut recourir à la procédure de l’article L16. Ce principe a été rappelé par le Conseil d’État dans une décision du 27 novembre 1987 (DF 1988, c.1164), qui a jugé que le recours à cette procédure pour des revenus déjà identifiés dans une catégorie fiscale déterminée constitue une erreur de procédure.

Ainsi, les demandes d’éclaircissements et de justifications représentent un outil intermédiaire, à la frontière du contrôle formel et de la vérification approfondie. Elles permettent à l’administration de confronter les déclarations à la réalité, sans déclencher immédiatement une procédure de redressement. Leur usage, à la fois précis et encadré, incarne l’un des fondements de l’équilibre entre le droit à l’information de l’État et les garanties procédurales du contribuable.

Karim Trabelsi

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