L’évaluation du revenu par les signes extérieurs de votre train de vie : l’article 168 du Code général des impôts

Le droit fiscal repose sur un principe de sincérité déclarative : le revenu imposable est censé être déterminé à partir des éléments déclarés par le contribuable. Mais il arrive que la réalité de son train de vie paraisse en décalage manifeste avec les revenus qu’il a déclarés. Pour pallier cette situation, le législateur a instauré une méthode exceptionnelle d’évaluation du revenu, fondée sur les signes extérieurs de richesse. Ce mécanisme est prévu à l’article 168 du Code général des impôts, qui autorise l’administration à substituer à la déclaration du contribuable une estimation forfaitaire de son revenu, calculée à partir de son mode de vie.

Ce dispositif repose sur une logique simple : certains éléments de confort ou de luxe sont révélateurs d’une capacité contributive réelle supérieure à celle qui ressort de la déclaration de revenus. L’administration peut ainsi déterminer un revenu indiciaire, c’est-à-dire un revenu théorique correspondant aux biens, services ou avantages dont le contribuable dispose. L’article 168 énumère douze éléments de train de vie considérés comme significatifs, auxquels la loi associe des équivalences en base d’impôt sur le revenu.

Parmi ces indices figurent, par exemple, la disposition d’une résidence principale ou secondaire, la possession de véhicules automobiles récents ou de prestige, la présence de personnel de maison, la propriété d’un yacht, ou encore l’utilisation d’avions ou de chevaux de course. Pour chacun de ces éléments, un barème est fixé par décret, qui permet de convertir le signe extérieur en revenu imposable. Ainsi, le fait de disposer d’une résidence, même à titre de locataire ou d’occupant gratuit, entraîne la présomption d’un revenu équivalent à sept fois la valeur locative cadastrale de l’immeuble.

L’administration additionne ensuite les revenus théoriques correspondant à chacun de ces indices pour obtenir un revenu global indiciaire. Ce revenu forfaitaire est censé refléter la capacité contributive réelle du contribuable pour l’année considérée. Il ne s’agit donc pas d’un revenu effectivement perçu, mais d’une base imposable de substitution, destinée à corriger ce que l’administration perçoit comme une discordance entre les ressources déclarées et le niveau de vie observé.

L’article 168 du CGI encadre strictement cette procédure afin d’en prévenir les abus. Pour que l’administration puisse l’appliquer, il faut qu’il existe une disproportion marquée entre le train de vie constaté et les revenus déclarés. Cette disproportion est réputée établie lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :
d’une part, le revenu indiciaire calculé doit être supérieur à un montant plancher fixé par la loi
d’autre part, ce revenu indiciaire doit excéder d’au moins un tiers le revenu net global déclaré par le contribuable.

Autrement dit, l’administration ne peut pas invoquer ce mécanisme pour de simples divergences marginales ou des situations de confort ordinaire. Seules les situations où l’écart entre les revenus affichés et les signes extérieurs de richesse est manifestement excessif justifient une telle requalification.

Cette taxation d’office constitue une présomption légale de revenu. Elle inverse partiellement la charge de la preuve, puisque c’est désormais au contribuable de démontrer que la discordance entre ses revenus déclarés et son train de vie s’explique par d’autres éléments. Il peut par exemple prouver que les dépenses constatées ont été financées par des ressources non imposables, comme la vente d’un bien, un emprunt ou une donation familiale. Il peut aussi justifier qu’il a utilisé son patrimoine existant plutôt que des revenus nouveaux pour financer son train de vie.

La jurisprudence a progressivement précisé les contours de cette possibilité de contestation. Le Conseil d’État, dans un arrêt M. et Mme Planet du 27 octobre 2008, a reconnu qu’un contribuable pouvait obtenir une réduction de la base indiciaire à due concurrence des montants dont il justifie la provenance non imposable. Le juge constitutionnel, dans sa décision n° 2011-88 QPC du 21 janvier 2011, a quant à lui rappelé que cette méthode ne devait pas conduire à une imposition déconnectée des facultés contributives réelles. Il a ainsi admis que le contribuable puisse démontrer que le financement ou l’entretien des biens considérés ne correspond pas au revenu forfaitaire retenu. Si, par exemple, l’entretien annuel d’une résidence est de 20 000 euros, l’administration ne saurait imposer un revenu indiciaire de 100 000 euros sans justification objective.

L’article 168 du CGI reste une arme rare mais redoutable entre les mains de l’administration. Il vise essentiellement les cas de fraude ou de dissimulation de revenus, lorsque le niveau de vie du contribuable trahit une réalité économique incompatible avec les montants déclarés. L’évaluation ainsi obtenue est souvent très défavorable, et la charge de la preuve pèse lourdement sur le contribuable, qui doit apporter des justificatifs précis et documentés pour espérer une révision de l’assiette retenue.

Ce dispositif illustre la volonté du législateur de préserver l’équité du système fiscal en sanctionnant les comportements manifestement abusifs. Il rappelle que la fiscalité n’est pas seulement un ensemble de règles techniques, mais aussi un instrument de justice contributive. L’impôt, pour être accepté, doit reposer sur la sincérité des déclarations et la cohérence entre le revenu affiché et la réalité vécue.

Karim Trabelsi

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