Usufruit et nue-propriété : principes généraux
Le droit français prévoit un mécanisme essentiel en matière de propriété : le démembrement, qui consiste à scinder les prérogatives attachées à la pleine propriété entre deux titulaires distincts, l’usufruitier et le nu-propriétaire.
L’article 578 du Code civil définit l’usufruit comme le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété comme le propriétaire lui-même, mais à charge d’en conserver la substance. L’article 579 précise qu’il peut être établi par la loi ou par la volonté de l’homme, tandis que l’article 581 dispose qu’il peut porter sur toute espèce de bien, meuble ou immeuble. L’usufruitier bénéficie de droits étendus : selon l’article 582, il peut percevoir les fruits naturels, industriels ou civils produits par le bien. Lorsque l’usufruit concerne des choses consomptibles comme l’argent, les grains ou les liqueurs, l’article 587 lui reconnaît la possibilité de s’en servir, à charge de restituer, à l’extinction de l’usufruit, des choses de même nature et qualité, ou leur valeur estimée au jour de la restitution. L’article 595 ajoute que l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner son droit en bail, voire le vendre ou le céder à titre gratuit. En contrepartie, le nu-propriétaire ne peut, de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l’usufruitier (art. 599).
La répartition des charges est également encadrée par la loi. L’article 606 distingue les grosses réparations, qui incombent au nu-propriétaire et concernent les murs, les voûtes, les poutres, les couvertures entières ou encore les digues et murs de soutènement, des simples réparations d’entretien, à la charge de l’usufruitier. L’article 608 rappelle que l’usufruitier doit assumer toutes les charges annuelles de l’héritage, telles que les impôts ou contributions, considérées comme inhérentes aux fruits.
Le Code civil prévoit également les causes d’extinction de l’usufruit. Selon l’article 617, il s’éteint par la mort de l’usufruitier, par l’expiration du temps prévu, par la réunion sur une même personne de la qualité de nu-propriétaire et d’usufruitier (consolidation), par le non-usage pendant trente ans ou par la perte totale de la chose. L’article 618 ajoute qu’il peut aussi disparaître en cas d’abus de jouissance de l’usufruitier, lorsqu’il dégrade le bien ou le laisse dépérir par défaut d’entretien. L’article 621, issu de la loi du 23 juin 2006, précise que lors de la vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété, le prix se répartit selon la valeur respective des droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix. Par ailleurs, la vente du bien par le nu-propriétaire sans l’accord de l’usufruitier ne modifie en rien le droit de ce dernier, qui conserve son usufruit sauf renonciation expresse.
Ainsi, l’usufruitier, titulaire de l’usus et du fructus, peut jouir directement de la chose, habiter un logement, utiliser un véhicule, ou encore percevoir les revenus tirés du bien, comme les loyers. Il n’a pas besoin de l’autorisation du nu-propriétaire pour exercer ces prérogatives, à la différence d’un locataire qui tient ses droits d’un contrat. L’usufruitier peut également céder temporairement cette jouissance à un tiers. Le nu-propriétaire, quant à lui, conserve l’abusus : il est propriétaire de la chose, mais ne peut vendre la pleine propriété qu’avec l’accord de l’usufruitier, et il doit respecter les droits de ce dernier.
L’origine de ce démembrement peut être légale ou contractuelle. Sur le plan légal, il apparaît notamment en matière successorale : au décès d’un époux, le conjoint survivant peut choisir l’usufruit de la succession, tandis que les enfants recueillent la nue-propriété. Sur le plan contractuel, un propriétaire peut transmettre la nue-propriété d’un bien à ses enfants tout en conservant l’usufruit, garantissant ainsi ses revenus tout en anticipant la transmission de son patrimoine.
Ce mécanisme est largement utilisé en gestion de patrimoine, car il permet d’atteindre divers objectifs : réduire la fiscalité en supprimant temporairement une source de revenus excédentaires, attribuer des revenus à un tiers, diminuer l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), construire un patrimoine sur le long terme ou encore anticiper une transmission à moindre coût.
Prenons un exemple concret ?
Une personne fortement imposée et percevant des revenus fonciers conséquents souhaite optimiser sa situation tout en aidant son enfant majeur. Elle peut lui consentir un usufruit temporaire sur un bien immobilier de rendement, pour une durée de dix ans maximum (article 669 alinéa 2 du Code général des impôts). L’opération a plusieurs effets : le bien sort de l’assiette de l’IFI du donateur, puisque l’usufruitier est redevable de l’impôt sur la valeur en pleine propriété du bien. Les revenus locatifs sont désormais déclarés par l’enfant, dont le taux marginal d’imposition est plus faible (11 %). Enfin, l’enfant bénéficie pendant la durée de l’usufruit de revenus réguliers, tout en maintenant la nue-propriété dans le patrimoine familial.
L’usufruit et la nue-propriété, loin d’être de simples notions théoriques, constituent donc des outils puissants de gestion patrimoniale et successorale. Ils organisent un équilibre entre jouissance immédiate et préservation du patrimoine à long terme, tout en offrant de réelles opportunités d’optimisation fiscale et de transmission.
Karim Trabelsi