Le quasi-usufruit : un mécanisme particulier du droit de propriété
Le quasi-usufruit est une variété particulière d’usufruit qui porte sur des choses consomptibles, c’est-à-dire celles qui se détruisent par l’usage même que l’on en fait, comme l’argent, les grains ou les boissons. Contrairement à l’usufruit classique, l’usufruitier n’est pas tenu de conserver la substance du bien. Il peut consommer librement la chose dont il a l’usufruit, mais les droits du nu-propriétaire ne disparaissent pas pour autant : ils sont reportés sur un bien équivalent. Concrètement, le nu-propriétaire devient titulaire d’une créance de restitution exigible à l’extinction de l’usufruit.
Cette particularité confère au quasi-usufruit une place importante en droit patrimonial. Il accroît les prérogatives de l’usufruitier, qui peut disposer de la chose comme s’il en était propriétaire, tout en maintenant une créance au profit du nu-propriétaire.
Le quasi-usufruit peut avoir une origine légale ou volontaire. Lorsqu’il trouve son fondement dans la loi, il s’applique notamment à l’usufruit successoral du conjoint et porte par nature sur des biens consomptibles, comme une somme d’argent comprise dans une succession. Mais il peut aussi être constitué par la volonté des parties, ce qui en fait un outil largement utilisé en gestion de patrimoine.
La convention des parties permet en effet d’investir en usufruit une personne qui n’y aurait pas droit en vertu de la loi. Ainsi, un concubin ou un partenaire pacsé peut être gratifié d’un quasi-usufruit par testament, par exemple sur des comptes bancaires. De la même manière, les époux peuvent organiser contractuellement un démembrement déjà prévu par le législateur, comme dans le cadre d’une donation entre époux précisant les obligations de l’usufruitier.
Toutefois, le recours au quasi-usufruit n’est pas neutre. En choisissant ce mécanisme, le nu-propriétaire ne conserve plus qu’un droit de créance, ce qui fragilise sa position. Cette fragilité est renforcée par l’absence de garanties automatiques. L’article 601 du Code civil prévoit que l’usufruitier doit fournir caution, sauf dispense expresse prévue dans l’acte constitutif. Or, dans les cas de réserve d’usufruit, il est fréquent que l’usufruitier en soit dispensé, ce qui réduit la sécurité juridique du nu-propriétaire. Dès lors, il est essentiel que la convention de démembrement soit rédigée par acte authentique, afin d’assurer la preuve de la créance et de protéger les droits des héritiers.
La protection du nu-propriétaire repose essentiellement sur la preuve de l’existence de sa créance de restitution ou sur la sanction de l’abus de jouissance de l’usufruitier, par exemple en cas de dilapidation ou de dégradations.
Le quasi-usufruit trouve une illustration concrète dans les stratégies successorales, notamment à travers l’assurance vie. Il est fréquent qu’un assuré désigne son conjoint comme bénéficiaire en quasi-usufruit et ses enfants comme nus-propriétaires. Dans ce cas, le conjoint survivant jouit librement des capitaux comme s’il en était propriétaire, tandis que les enfants, au décès du conjoint, deviennent créanciers de la succession pour un montant équivalent à la valeur reçue.
Sur le plan fiscal, la dette de restitution attachée au quasi-usufruit constitue un passif successoral déductible. L’article 768 et l’article 773, 2° du Code général des impôts, ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation (Com., 4 décembre 1984, n° 9105 et Com., 6 mai 1991, n° 89-18815), confirment ce principe. Toutefois, la déductibilité est soumise à des conditions strictes. La dette doit avoir été constatée par acte authentique, ou par acte sous seing privé ayant date certaine antérieure à l’ouverture de la succession. De plus, les héritiers doivent établir la sincérité de la dette et prouver son existence effective au jour de la succession.
Le quasi-usufruit apparaît ainsi comme un outil souple et puissant d’organisation patrimoniale et successorale. Il permet de concilier la protection du conjoint survivant, qui bénéficie d’une jouissance élargie des biens, avec les droits des enfants nus-propriétaires qui disposent d’une créance de restitution. Mais il exige rigueur et précaution dans sa mise en place, afin de garantir la sécurité juridique et fiscale de l’opération.
Karim Trabelsi