La constitution d’un usufruit successif : un mécanisme de protection familiale

L’usufruit successif, également appelé réversibilité d’usufruit, est un mécanisme patrimonial qui permet d’assurer la continuité de la jouissance d’un bien au profit d’un proche, généralement le conjoint ou le partenaire pacsé. Sa nature juridique et ses conséquences pratiques sont précisées tant par le Code civil que par la jurisprudence.

L’article 1096 du Code civil rappelle que « la donation de biens à venir faite entre époux pendant le mariage est toujours révocable. La donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage fait entre époux n’est, en cas de décès de l’usufruitier, révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958 ». Ce texte encadre la possibilité de constituer des droits réversibles au sein du couple.

La Cour de cassation, dans un arrêt de chambre mixte du 8 juin 2007, a précisé que « l’acte constituant un usufruit successif est une donation de biens présents à terme ». Cela signifie que la stipulation ne crée pas une simple expectative, mais bien un droit actuel, intégré immédiatement dans le patrimoine du bénéficiaire, dont l’exercice est différé à la date incertaine de l’extinction du premier usufruit.

Concrètement, l’usufruit successif est un droit d’usufruit consenti par le propriétaire d’un bien qui transfère la nue-propriété à sa descendance, tout en se réservant l’usufruit. La clause prévoit qu’au décès du donateur, l’usufruit ne s’éteindra pas, mais se poursuivra au profit d’un tiers désigné, le plus souvent son conjoint ou son partenaire pacsé. L’opération ne consiste donc pas à transmettre entre vifs ou à cause de mort l’usufruit déjà existant, mais à faire naître un nouvel usufruit sur la tête du bénéficiaire désigné.

Ce mécanisme revêt une grande importance pratique et familiale. Il est en effet largement utilisé dans une logique de protection du conjoint survivant. Ainsi, un parent peut transmettre la nue-propriété d’un bien à ses enfants tout en se réservant l’usufruit à titre personnel, puis stipuler qu’à son décès, l’usufruit se reportera sur son conjoint. De cette manière, la jouissance du bien est garantie au conjoint survivant, tandis que les enfants deviennent pleinement propriétaires uniquement à l’extinction du second usufruit.

L’usufruit successif permet donc d’articuler deux objectifs : assurer la protection et le confort de vie du conjoint ou du partenaire pacsé après le décès, et organiser de façon anticipée la transmission du patrimoine au profit de la descendance. C’est pourquoi il s’impose comme un outil patrimonial efficace et fréquemment mobilisé dans la planification successorale.

Karim Trabelsi

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